Claire

Parce que derrière chaque rechute , il y a eu un combat de perdu.

Elle est assise à la table de la cuisine. Une vieille table laide des années 80. On fait avec ce qu’on trouve au Centre Le Partage du coin. Il n’y a qu’une seule chaise autour de celle-ci ; elle n’a jamais de visite. Les murs sont d’un blanc caillé à en vomir. Mais vomir, ce n’est pas ça qu’il y a de pire selon elle. Elle habite seule dans un 2 et demi dans Hochelaga, à côté de la piquerie. C’est sa travailleuse sociale qui lui a trouvé ce petit logement miteux-là. Elle, c’est Claire. Quand on est ce qu’elle est, on n’a pas le droit de vivre ailleurs que dans un trou à rat. C’est ce qu’elle pense. C’est ce que pense beaucoup de gens également. Ça va faire un an demain qu’elle n’a pas touché à la cocaïne ni à l’héro. Depuis un an qu’elle fait son épicerie au IGA d'à côté, et qu’elle passe pratiquement inaperçu avec son panier rempli de brocolis et de bananes. Il y a quelques intuitifs qui lui soupçonne un passé un peu trash étant donné les quelques marques sur son visage, mais sinon, rien. Ni vu, ni connu. Elle a un chat. Il s’appelle Albert. Elle lui achète de la bouffe pis toute. Elle le flatte même une fois de temps en temps. Elle n’aime pas trop ça. C’est trop intime qu’elle dit. Il est 20h00pm. À soir, Claire ne feel pas trop. C’est la solitude comme elle dit, la criss de solitude qui vient lui ronger le gros nerf du coup. Elle ne dit pas ronger l’âme, parce qu’elle ne croit pas à ça elle, l’âme. « Moi, le bon Dieu, il a oublié de me donner ça , une âme. » Ce soir, elle a le goût de consommer, c’est assez fracassant comme envie. « Ça fait un an Claire, tu es capable de pas toucher à cette shit-là ! » se dit-elle intérieurement en se rongeant les ongles jusqu'au sang. On ne sait pas trop ce qui engendre des moments de même. Des moments où on aurait juste le goût de se défoncer. D’aller planer quelque part dans une autre galaxie. Ça te prend sans crier gare, ça vient s’installer insidieusement en toi. « Il ne faut pas fuir la réalité Claire ! » se répète-elle à haute voix en flattant Albert. Le téléphone ne sonnera pas. Elle n’a personne à appeler non plus. Elle est toute seule avec ce désir-là. Cette envie de prendre une petite ligne. Cette envie qui la transperce, la mutile et la tourmente à ce moment même. Elle a mal au coeur. C’est facile d’en trouver, suffit de marcher 3-4 rues vers la gauche, et de demander à un junky. C’est trop facile de s’en procurer. Elle inspire. Elle expire. Elle inspire. Elle expire. Elle fait ce qu'on appelle "La pleine conscience". C'est ce que lui a appris son psy. Mais tabarnack, ce n’est pas facile la pleine conscience. Ça serait plus efficace l’inconscience en ce moment. Ça s'apprend pas ça l'insconscience ? Ça ne part vraiment pas cette envie-là. Pourquoi maintenant ? Pourquoi là ? « Comment tu te sens en dedans Claire ? ». Elle se psychanalyse elle-même. Elle essaie tous les trucs que sa travailleuse sociale lui a donné. « Je me sens mal en criss. » se dit-elle à haute voix. Elle commence à trembler. La porte devient de plus en plus grosse. L’envie de plus en plus forte. Elle pousse Albert, prend son manteau, et traverse la porte d’un coup sec. Bon voyage Claire. Tu auras essayé. La prochaine fois , ce sera peut être la bonne.

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